Développement organisationnel
15.09.2025

Accompagner les accompagnants

Les Fondations Audemars Piguet s’engagent en faveur de l’autonomie et de la résilience des acteurs de la société civile, notamment à travers le développement organisationnel (DO). À ce titre, elles soutiennent un programme de l'Institut Européen de Coopération et de Développement (IECD), qui accompagne la structuration d’un collectif d’associations d’insertion socio-professionnelle à Marseille. 

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Pierre Vergnes

En complément de leurs axes d’intervention principaux – l’environnement, l’équité sociale et l’éducation –, les Fondations Audemars Piguet s’engagent en faveur de l’autonomie et de la résilience des acteurs de la société civile, notamment à travers le développement organisationnel (DO). À ce titre, elles soutiennent un programme de l'Institut Européen de Coopération et de Développement (IECD), qui accompagne la structuration d’un collectif d’associations d’insertion socio-professionnelle à Marseille. Lors d’une mission sur le terrain avec mes collègues Huda Bakhet et Simon Mériaux, Programme Managers, nous avons rencontré deux de ces organisations – Appel d’Aire et Wake up Café – afin de mieux comprendre leur action, échanger avec leurs publics et recueillir des retours concrets sur l’appui apporté par l’IECD.

 

Appel d’Aire: un sas de reconstruction

Fondée en 1997 dans les Hauts-de-France, l’association Appel d’Aire a vu le jour pour former des personnes détenues à la métallerie à travers des chantiers d’aménagement. En 2002, elle s’établit à Marseille, au sein du site de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), et élargit son action à un nouveau public : les jeunes de 16 à 25 ans confrontés à des difficultés éducatives, judiciaires, sociales ou familiales.

Depuis 2021, l’association est installée au Comptoir de la Victorine, dans le 3ème arrondissement de Marseille. Elle y anime un chantier-école centré sur les métiers de la menuiserie et de la métallerie. Appel d’Aire offre à ses bénéficiaires – qui ont le statut de stagiaires de la formation professionnelle – un accueil inconditionnel, avec des entrées et sorties permanentes, sans durée déterminée. Cela laisse aux jeunes le temps de se reconstruire et de dessiner leur avenir. «Des sas comme Appel d’Aire en région PACA [Provence-Alpes-Côte d'Azur], il n’y en a pas d’autres. Nous sommes souvent une étape indispensable avant un chantier d’insertion ou un contrat d’apprentissage», explique le directeur de l’association, Julien Acquaviva.

Si la formation aux métiers du bois et du métal permet d’acquérir des compétences techniques précieuses, elle est aussi un prétexte pour renouer avec l’estime de soi, ainsi qu’avec des codes sociaux parfois oubliés ou inconnus. « La première fois que je me suis rendu chez Appel d’Aire, ça ne m’a pas plu », raconte Damien[1], un jeune de l’association. «Je n’appréciais pas l’ambiance. Cette manière de se saluer, en regardant tout le monde droit dans les yeux et en serrant les mains, je trouvais ça bizarre. J’ai quand même fait une deuxième tentative, et un an et demi après, je suis toujours là.»

Pour Damien comme pour les autres jeunes, chaque journée commence par un échauffement collectif en musique, animé à tour de rôle par les membres du groupe. Cette transition invite à se recentrer et permet aussi de s’exercer à la prise de parole. «Au début, j’avais du mal à m’exprimer», souligne Damien. «Maintenant, c’est bon. Et j’arrive aussi à être ponctuel», précise-t-il.

Accompagné de son formateur, il nous fait découvrir l’atelier de menuiserie où il travaille. Parfaitement à l’aise avec les outils et la matière, il guide la visite avec assurance et précision. «Nous travaillons sur des commandes de clients. Aujourd’hui, c’est un banc. Le bois utilisé, c’est du Douglas, une essence résineuse. On commence par découper les lattes, puis on les passe à la dégauchisseuse pour les rendre bien droites.» Chaque geste technique s’accompagne d’un apprentissage rigoureux: sens du détail, auto-contrôle, coopération. Les formateurs corrigent avec patience et bienveillance. Les objets livrés doivent être impeccables. Le fait que leurs créations soient attendues, utiles et accueillies avec reconnaissance constitue une véritable source de fierté pour les jeunes.   


[1] Les prénoms de certaines personnes citées dans cet article ont été modifiés afin de préserver leur anonymat.

À l’atelier de métallerie, nous faisons la connaissance de Mateo, qui doit fabriquer une rambarde d’escalier. Peu bavard, il se met immédiatement à l’ouvrage: traçage des mesures à la pointe, découpe à la scie à ruban, puis mise en forme à la cintreuse à plat. Bien qu’il soit arrivé en retard ce matin, il a été autorisé à rester pour la journée. «En général, les retards ne sont pas tolérés. Il faut soit une excuse valable, soit ne pas être encore "en capacité" d’arriver à l’heure. Ici, on apprend aussi à respecter des horaires et des règles. Ce n’est pas facile au début, mais les jeunes finissent par y arriver», explique son formateur. Lamia, également en stage chez Appel d’Aire, s’apprête à signer un apprentissage avec la Fédération des Compagnons du Tour de France[2]. Elle témoigne: «Avant, j’avais de très gros problèmes, notamment d’addiction. Je n’arrivais même pas à me réveiller. L’équipe m’a toujours permis de revenir, jusqu’à ce que je réussisse à être à l’heure. J’ai découvert une passion ici. Quand j’étais en retard, ça m’énervait de devoir repartir. J’ai fait de gros efforts et je suis fière de moi.»

Plus loin dans l’atelier, Omar, enthousiaste, nous parle de son projet en cours : un garde-fou de fenêtre constitué de barreaux verticaux et d’éléments décoratifs. «Je connaissais déjà un peu la plomberie et la soudure, que j’avais pratiqués dans mon pays d’origine, le Sénégal. Ici, j’ai par exemple appris à faire un chanfrein: c’est important pour que la soudure pénètre bien et que l’assemblage soit solide. Il y a beaucoup de pédagogie. Les formateurs répètent autant de fois qu’il le faut. J’ai aussi progressé en français. Ici, on m’accueille comme je suis. Tout le monde est traité de la même manière.»

Appel d’Aire encadre une dizaine de jeunes à la fois pour garantir un accompagnement de qualité. Cette attention individuelle est d’autant plus importante que les situations vécues par les bénéficiaires sont souvent très lourdes. Par ailleurs, le soutien de l’association ne s’arrête pas à la fin du stage: les portes restent toujours ouvertes. «Appel d’Aire m’a aussi aidée sur le plan personnel, pour trouver un logement, passer le permis de conduire, consulter un psychologue… Ils ont un super réseau. Je ne connais pas d’autre association qui fait ça», témoigne encore Lamia.

Grandir n’est pas un objectif pour Appel d’Aire. Trop d’énergie serait requise pour dupliquer un modèle aussi exigeant. L’essaimage passe plutôt par le partage d’expérience entre structures. C’est là que l’IECD joue un rôle clé. «Réunir les professionnels de l’accompagnement, c’est crucial», affirme Julien Acquaviva. «On partage nos pratiques, notre éthique, notre vision. Et ça nous aide à mieux comprendre ce qu’on fait.» Appel d’Aire participe ainsi activement aux temps collectifs proposés par l’IECD.

Deux jours après notre visite, nous retrouvons Julien lors d’une journée d’échanges réunissant une vingtaine d’organisations d’insertion de la région, organisée par l’IECD. Ces dernières évoquent des défis communs: un manque de reconnaissance de leur travail, souvent lié à l’image renvoyée par leurs publics, jugés avant d’être écoutés ou compris; une charge émotionnelle intense face à des parcours de vie marqués par la violence, la précarité ou l’abandon, dont il est difficile de se détacher une fois la journée terminée ; et des contraintes budgétaires toujours plus fortes, couplées à une pression administrative croissante.  Ces moments de dialogue sont fondamentaux pour souffler, se soutenir, se réaffirmer dans son rôle… et continuer à avancer.


[2] La Fédération des Compagnons du Tour de France est une institution traditionnelle dédiée à l'apprentissage et à la formation dans les arts et métiers manuels et techniques. Elle est particulièrement réputée en France dans ce domaine.

 

Wake up Café: redonner confiance, recréer du lien

Implantée à Marseille depuis 2021, Wake up Café a été fondée en 2014 afin d’accompagner les personnes détenues ou récemment sorties de détention vers une réinsertion durable, sans récidive. Son action repose sur un accompagnement global, fondé sur la confiance, la bienveillance et l’exigence. L’association s’est développée autour d’une communauté active d’anciens détenus, de bénévoles et de professionnels engagés. Présente aujourd’hui dans plusieurs villes de France, elle intervient «dans et hors les murs» – avec des rencontres et des programmes qui débutent en détention et se poursuivent sur ses différents sites –, en collaboration avec les établissements pénitentiaires, les services de l’État et plus de 400 entreprises partenaires. Ce solide maillage territorial permet de mutualiser les bonnes pratiques et de proposer un accompagnement individualisé, sans limite de temps, avec un taux de récidive observé parmi les personnes accompagnées de 12,6%, contre 60% en moyenne dans les cinq ans suivant une sortie de détention.

Nous sommes accueillis à l’heure du déjeuner dans un lieu de vie coloré et chaleureux. En cuisine, deux «wakeurs[1]» préparent le repas avec des membres de l’équipe pendant que nous visitons les locaux. La positivité est omniprésente, jusque sur les murs, où des citations inspirantes, des photos de groupe et des témoignages racontent les réussites passées. L’ambiance est familiale. «Ici, on se sent en confiance, comme à la maison», résume un membre de l’équipe. Muriel Hecker, directrice de la pédagogie, nous explique: «Les wakeurs nous appellent souvent avant de faire une bêtise. Ils nous font confiance, et ils savent qu’on leur fait confiance à notre tour. Ils n’ont pas envie de nous décevoir. La relation est sincère.» Walid, un bénéficiaire récemment arrivé dans le programme, poursuit: «En arrivant chez Wake up Café, j’ai tout de suite vu que c’était différent. On t’aide à faire les choses, mais on ne les fait pas à ta place. Ça te rend autonome. Et puis, on recrée une routine. Avant, moi, je vivais la nuit.»

Wake up Café propose un parcours structuré composé d’ateliers de professionnalisation, de développement personnel et de reconstruction du lien social. Ces différentes dimensions s’entrecroisent dans les activités hebdomadaires. Nous assistons à un «café philo» animé par une intervenante externe. Les sujets du jour sont choisis par les wakeurs: «Est-ce que les femmes sont incomprises?» et «Sommes-nous vraiment libres?» Malgré les efforts de la modératrice, les prises de parole sont inégales, mais toujours respectueuses. Chacun écoute, personne ne juge. «Même si la philo ce n’est pas mon truc, je joue le jeu», lance Bernard en souriant. L’échange est vivant, profond, ponctué de désaccords et de rires. L’objectif est autant de nourrir la réflexion que de renouer avec les interactions sociales.

Wake up Café est une communauté ouverte, où l’on vient et repart librement à l’issue de son parcours. L’accueil est inconditionnel, mais l’engagement réciproque. «Ici, on prend, mais on donne aussi», affirme la directrice de la pédagogie. Ce principe fonde une dynamique d’entraide et d’exemplarité. L’équipe comprend d’ailleurs plusieurs formateurs ayant eux-mêmes connu la détention. Ils reviennent partager leur expérience, apportant une légitimité nécessaire pour inspirer les nouveaux. Les parcours envisageables sont incarnés à travers des profils variés, du chef d’entreprise à l’ancien détenu devenu élu, qui élargissent l’horizon des possibles pour les wakeurs.

Pour l’association, l’IECD joue un rôle structurant. Son accompagnement aborde plusieurs volets: le renforcement de la pédagogie, l’élaboration d’outils d’évaluation des compétences, la professionnalisation des équipes et la réflexion stratégique autour de l’extension du modèle. L’un des apports majeurs a été la création, au sein du Quai Liberté[2], de grilles de compétences et d’un parcours de formation, conçus pour mieux suivre les progrès des wakeurs et valoriser les acquis à chaque étape. L’objectif est désormais de reproduire ce travail sur d’autres sites, notamment à Marseille. L’IECD soutient également les équipes de Wake up Café en offrant des espaces de prise de recul et de co-construction, essentiels pour ajuster en continu les pratiques d’accompagnement, réfléchir aux enjeux managériaux et maintenir une qualité d’encadrement en faveur d’un public vulnérable. «Travailler avec l’IECD, ça nous a permis de clarifier ce qu’on faisait, de le formaliser», confie Muriel. Là, on construit des outils qui nous ressemblent, et qui vont nous permettre d’étendre notre approche.» En effet, le projet marseillais s’inscrit dans une dynamique de duplication des activités menées par Wake up Café dans d’autres villes, comme à Paris avec le Quai Liberté. «Ce qui est également très important, c’est que l’IECD nous aide à prendre soin de nos équipes, dont il faut maintenir la motivation, et par conséquent le bien-être», conclut Muriel. «En nous permettant, en tant qu’associations, de nous rencontrer et d’échanger, l’IECD fait émerger un véritable sentiment d’appartenance. Il ouvre un espace de partage d’expériences et de pratiques entre acteurs, favorisant une meilleure interconnaissance et la création de nouvelles synergies au service de nos publics. Cette sensibilisation est primordiale, en particulier pour les acteurs de l’insertion, souvent peu écoutés malgré leur expertise de terrain.»

À travers le soutien qu’elles apportent à des structures telles que l’IECD, qui appuient les ONG dans leur développement organisationnel, les Fondations Audemars Piguet permettent à ces dernières de s’adapter à des environnements en constante évolution, où les besoins des publics qu’elles accompagnent évoluent eux aussi. Cela contribue à améliorer l’accès de ces publics aux conditions et ressources nécessaires à une meilleure qualité de vie, un objectif au cœur de leurs missions.


[1] «Wakeur» est le nom donné par Wake up Café à ses bénéficiaires. Le wakeur est une personne ayant vécu une peine de prison, déterminée à se réinsérer et à construire une nouvelle trajectoire.

[2] Le restaurant de Wake up Café à Paris, qui emploie d’anciens détenus.

Rédaction
Leila Mansour - Communication Manager
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