En février, les élèves de 5ème du collège Pasteur à Arbois, en France, ont eu la chance de vivre des journées scolaires pas comme les autres, grâce à l’association De l’or dans les mains. Son programme «Je découvre les métiers manuels», soutenu par la Fondation Audemars Piguet pour le Bien Commun depuis 2023, leur a permis de s’initier à une série de métiers de la main à travers des ateliers immersifs animés par des artisans de la région. L’objectif: reconnecter les jeunes à leurs capacités créatives, ouvrir leur regard sur des métiers souvent méconnus ou peu valorisés, et leur permettre, pourquoi pas, d’envisager une voie professionnelle manuelle avec fierté et confiance.
Repenser l’intelligence
En France, depuis la suppression progressive, à partir des années 1980, des cours d’Enseignement Manuel et Technique (EMT), la pratique manuelle a peu à peu disparu des programmes scolaires. L’association De l’or dans les mains souhaite inverser cette tendance. Loin de considérer les travaux manuels comme secondaires ou réservés aux élèves en difficulté, elle estime qu’ils sont complémentaires à l’apprentissage académique.
Le système éducatif français, comme d’autres en Europe, valorise traditionnellement les formes d’intelligence dites «académiques»: littéraire, scientifique ou logique. Les compétences pratiques, corporelles, artistiques ou manuelles sont souvent perçues comme annexes, voire comme des «voies de secours». Cette dynamique ne reflète ni la diversité des talents, ni les aspirations des élèves.
À l’inverse, les pays scandinaves – la Finlande, le Danemark et la Suède – adoptent une vision plus large et inclusive de l’intelligence. Leurs systèmes éducatifs s’inspirent notamment des travaux du psychologue Howard Gardner, qui défend l’idée de la pluralité de l’esprit humain et distingue plusieurs formes d’intelligence: logique, linguistique, corporelle, spatiale, musicale, interpersonnelle, entre autres. Dans cette approche, le travail manuel, l’artisanat ou encore l’expression corporelle font pleinement partie des activités scolaires. De telles disciplines sont enseignées sur un pied d’égalité avec les matières théoriques, dans une logique de complémentarité. Ce rapport apaisé et valorisant au «faire» transforme la relation des élèves à l’école, qui se sentent encouragés, légitimes et capables.
C’est dans cet esprit que s’inscrit le travail de l’association De l’or dans les mains, qui crée des ponts entre le savoir et le savoir-faire, entre la théorie et l’expérimentation. En mettant les jeunes en contact avec des artisans passionnés, choisis autant pour leur expertise que pour leur capacité à transmettre, l’association redonne aux métiers manuels leurs lettres de noblesse, ainsi que leur valeur éducative et formatrice.
Déconstruire et fabriquer
À Arbois comme ailleurs, tout a commencé en amont. L’association a travaillé en étroite collaboration avec la direction et les enseignants du collège Pasteur, ainsi qu’avec les artisans-intervenants, pour proposer aux élèves, réunis en petits groupes, des ateliers créant un lien entre une notion de leur programme scolaire et les métiers présentés – au total une quinzaine.
À l’atelier de taille de pierre et d’ardoise, on évoque les mathématiques et la géométrie: calculs, mesures, angles, formes… Munis de règles et de compas grand format, les élèves appliquent méthodiquement ce qu’ils ont appris en classe pour réaliser des tailles précises et harmonieuses. À la question souvent posée «Mais à quoi ça va nous servir dans la vie, toute cette théorie?», les jeunes ont leur réponse. Même constat du côté du vitrailliste, qui apprend aux élèves à découper du verre à partir de gabarits. «Les élèves commencent souvent avec une idée ambitieuse, puis se rendent compte qu’il vaut mieux faire plus petit, mais bien. La maîtrise leur donne confiance», explique Charles.
Dans l’atelier de tournerie sur bois, c’est Caroline qui accueille les élèves. Ancienne professionnelle du marketing et de la communication, diplômée universitaire dans ces domaines, elle a décidé de donner un nouveau sens à sa carrière en se consacrant à l’ébénisterie. Son parcours inspirant sert de tremplin pour déconstruire les biais de genre et les idées reçues: non, il n’est pas nécessaire d’être un homme pour travailler le bois; et non, elle n’a pas choisi ce métier par manque de capacités intellectuelles. Les jeunes n’en étaient pas moins convaincus. Interrogés sur le sujet, les élèves d’une classe affirment que, pour eux, les métiers manuels ne sont pas réservés à ceux en difficulté scolaire.
À la sortie de l’atelier, ils repartent avec une toupie fabriquée de leurs propres mains. «On a pu fabriquer un objet avec nos mains, et on peut l’emporter chez nous… ça, c’est vraiment incroyable!», s’enthousiasme un élève.
Du côté de la peintre sur soie et de la lainière, on parle d’alchimie. Le sel et le sucre sont utilisés pour créer des effets de couleur, tandis que l’eau et le savon, sous l’action mécanique de la paume de la main, transforment les fibres de laine en feutre. Pendant qu’elles transmettent leurs gestes aux élèves, l’une évoque l’histoire de la soie, l’autre les particularités des fibres naturelles. Toutes deux insistent sur l’importance de préserver le patrimoine – qu’il soit local ou national –, notamment en perpétuant des métiers artisanaux appelés à disparaître.
Si les ateliers diffèrent les uns des autres – afin que chaque élève puisse y trouver son compte –, ils ont en commun deux principes: l’erreur n’existe pas et le diable se cache dans les détails. Patience, précision, répétition du geste: autant de qualités précieuses à cultiver, particulièrement chez les jeunes habitués à la rapidité et à l’instantanéité. Pressé de terminer le badge qu’il réalisait à l’atelier d’illustration, et insatisfait du résultat, un élève se reprend: «Il faut que je me calme, maintenant, et que je m’applique.»
Au-delà de la découverte de nouveaux métiers, de la prise de conscience de capacités jusque-là inexplorées, ou – pour certains – d’un regain de confiance en soi, ces ateliers favorisent le développement de soft skills, des compétences comportementales et interpersonnelles essentielles, tant dans le monde du travail que dans la vie en général.
Un champ des possibles élargi
Chaque élève dispose d’un classeur personnel conçu par De l’or dans les mains, dans lequel il collecte des fiches métiers, consigne ses expériences et reçoit une signature validant sa participation aux ateliers. Ces carnets deviennent des supports de réflexion, ouvrant parfois la voie à des stages auprès des artisans rencontrés ou dans les domaines explorés.
Le programme «Je découvre les métiers manuels» s’adresse aussi bien aux élèves au profil académique qu’à ceux moins à l’aise dans le cadre scolaire classique. Il est également déployé au sein d’établissements relevant des réseaux d’éducation prioritaires (REP), et contribue à faire évoluer le regard des familles sur certains métiers manuels – des choix parfois encore peu acceptés.
De l’or dans les mains collabore avec un cabinet spécialisé pour identifier les métiers porteurs d’avenir, tout en veillant à préserver et transmettre des savoir-faire en voie de disparition.
Pour les artisans, qui sont rémunérés pour leur participation, le programme est à la fois une occasion de valoriser leur métier et un petit complément de revenu. Si certains peinent à vivre exclusivement de leur artisanat, tous expriment leur contentement de pouvoir exercer un métier de passion, qui les épanouit pleinement au quotidien. Pour la Fondation Audemars Piguet pour le Bien Commun, soutenir ce programme permet aussi de susciter l’intérêt pour les savoir-faire manuels, qui sont au cœur de son histoire.